L’organisation économique d’Auschwitz

Le modèle économique
Nous avons vu qu’Auschwitz devait être un modèle de la nouvelle organisation de la cité allemande, en application du « Blut und Boden ». Rappelons que cette théorie affirmait la symbiose des Allemands avec la terre, dont les nazis devaient tirer leur vitalité et qu’ils devaient faire fructifier.

Sur cette base, leur objectif était de remodeler l’espace conquis, en le germanisant, en vertu de la théorie de l’espace vital, « Lebensraum ».

La ville d’Auschwitz, agencée selon les normes édictées par des spécialistes nazis, devait être vidée des populations jugées comme inférieures, pour accueillir celle germanique appelée à travailler et à prospérer, selon un processus de colonisation. Tout autour devait se développer un projet agricole, destiné à faire du site le centre de recherche agricole pour l’Est. Plusieurs fermes spécialisées dans divers domaines de recherche s’y installèrent.

Dans le même temps, l’industrie était également appelée à se développer en ce lieu. C’est ainsi qu’à l’ouest de la ville, les entreprises de la SS développèrent leurs activités dans le périmètre des camps.

La Deutsche Ausrüstungswerke (DAW), spécialisée dans la menuiserie et la production métallique, fournissait aussi bien les camps que l’armée. La Deutsche Erd-und-Steinwerke (DESt) exploitait les gravières environnantes, pour les constructions.

En 1941, la partie ouest de la ville vit s’installer l’IG Farben, qui regroupe . Cette entreprise fabriquait un caoutchouc synthétique, le buna, dont la production nécessitait d’importantes quantités de charbon, d’eau, et une desserte ferroviaire pour leur acheminement. Auschwitz était l’emplacement idéal. Le complexe qui s’installa, s’étirait sur 3 kms d’ouest en est, et 1 km du nord au sud. A la production du buna, s’ajouta en 1942, celle du méthanol. Elle se mit également à exploiter les mines alentour de Fürsten, Janina et Piast. Ce centre industriel attira dès lors de multiples entreprises, la Reichswerke Hermann Göring comptant des activités minières s’implante à Jawiszowice, Krupp et Siemens ouvrent une usine de pièces aéronautiques.

 

IG Farben (Fichier:Bundesarchiv Bild 146-2007-0056, IG-Farbenwerke Auschwitz.jpg)

La place tenue par les camps dans ce modèle économique

Quelle place tenaient les camps dans cette organisation ?

Les détenus constituaient une main-d’œuvre bon marché. La plus grande partie était exploitée directement par la SS, à la construction et l’administration du camp. Les statistiques disponibles pour l’année 1943, montrent que 50% à 60% d’entre eux étaient affectés au service du camp.

Les détenus affectés au camp

lls furent affectés à la construction et à la gestion des camps.

  • Construction des camps :

La construction était ininterrompue, étroitement liée à l’extension des camps. Les détenus devaient détruire les habitations des populations polonaises expulsées, construire les casernements et équipements de la SS, ainsi que les baraquements dévolus à leur propre usage.

Travaux d’évacuation des eaux (-d.natanson.pagesperso-orange.fr/travail-camps.htm)
  • Récupération des biens spoliés :

Beaucoup travaillaient aux tâches liées à la récupération des biens des déportés et à la gestion du Canada, lieu ainsi appelé, en raison des richesses dont ce pays était le synonyme. Il s’agissait d’entrepôts où les biens pillés étaient entreposés. Le Kanada I était situé dans le bloc 26 d’Auschwitz I, tandis que le Kanada II créé en 1943, composé de 30 bâtiments en bois, était installé près des chambres à gaz d’Auschwitz II-Birkenau.

Les détenus affectés aux commandos du « Canada » étaient chargés de trier les biens laissés sur les quais par les victimes et de les ranger dans les baraques dévolues à cet usage.

La spoliation se poursuivait après la mort des détenus, sur lesquels on prélevait tout ce qu’il était possible de récupérer.

Après le gazage des personnes, les détenus du Sonderkommando étaient chargés de récupérer ce qui pouvait l’être. Les cheveux de femmes, tout d’abord, dont 7 tonnes se trouvaient stockés à Auschwitz lors de la libération du camp. Ils étaient transformés en bobine de fils, par les soins d’un organe quelconque du Ministère de l’Economie, en feutre industriel. Il permettait de fabriquer des pantoufles pour les équipages de sous-marins, et des bas en feutre.

Cheveux des femmes (Musée d’Auschwitz- Photo de Patrick Nguyen)

Avant d’incinérer les cadavres, les détenus du Sonderkommando inspectaient les dentures, pour extraire l’or dentaire, comme on le faisait d’ailleurs dans tout le camp de concentration. Il existait au Canada un atelier orfèvrerie, dans lequel une partie de cet or était fondue en lingots. Les dents et objets en or fournis chaque jour par les crématoires produisaient après fonte, entre 30 et 35 kilos d’or pur.

Au total on estime à plusieurs milliards de francs suisse, les biens qui furent ainsi volés aux juifs.

Alliances (Photos ad Vashem)

Les vêtements : un commando se spécialisait dans le tri des chaussures, l’autre les vêtements d’hommes, un 3ème les vêtements de femme, un 4ème ceux des enfants. lls étaient soigneusement pliés, ficelés pour être emportés vers l’Allemagne dans des camions.

Tri des tissus (album d’Auschwitz  Yad Vashem)

La « boustifaille » : Les vivres emportés par les détenus y pourrissaient ou étaient remis aux cuisines.

Tri des objets (album d’Auschwitz  Yad Vashem)

Les objets de valeur : bijoux, or et objets précieux y étaient entreposés.

Valises (Musée d’Auschwitz- Photo de Patrick Nguyen)

Que devenaient ces biens ? 

Le plus gros client était le Ministère de l’Économie, chargé de la récupération industrielle des chiffons, et vêtement hors d’usage, tandis que les autres destinataires distribuaient aux Allemands indigents les vêtements en meilleur état. 

Autres objets récupérés

Chaussures (Musée d’Auschwitz-Photo de Patrick Nguyen)

Lunettes (Musée d’Auschwitz-Photo de Patrick Nguyen)

Prothèses (Musée d’Auschwitz- Photo de Patrick Nguyen)

Les détenus travaillant hors du camp

Environ 40% des détenus restant étaient affectés à des tâches hors du camp, en rapport avec les projets de développement économique nazi, pour lesquels il n’y avait pas assez de main d’œuvre.

  • Les travaux agricoles :

Dans l’objectif de développer une agriculture moderne, qui subviendrait aux besoins de la nouvelle société, des recherches sont effectuées dans les fermes alentour de Rajsko, Budy, Babitz, Birkenau et Plawy. On y pratique l’élevage, l’agriculture et la pisciculture.  La main d’œuvre féminine y est affectée.

  • Le travail dans l’industrie 

En 1940, afin de faire face au blocus du caoutchouc naturel  venant d’Afrique, essentiel à l’économie de guerre,  le groupe chimique IG Farben décide, en 1941, de construire un énorme complexe industriel près de la petite ville d’Auschwitz, hors de portée des bombardiers anglais. Il y a de l’eau en suffisance pour le processus de production et, non loin de là, on trouve les matières premières indispensables à la fabrication de caoutchouc synthétique, avec des mines de charbon, de sel et de chaux déjà exploitées. De plus, Auschwitz se situe sur une ligne ferroviaire connectée à l’industrie de Haute-Silésie. 

Monowitz avant l’IG Farben (Collection Hans Citroën)

  • Le besoin de main d’œuvre de l’IG Farben.

L’IG Farben avait besoin d’une grande quantité de main-d’œuvre. Pour répondre à ses besoins, elle fera venir des travailleurs allemands, participant ainsi à la politique de germanisation désirée par les nazis. Elle utilisera une population forcée, estimée à 30% contre 7% pour les autres entreprises allemandes. Elle ira encore plus loin dans la compromission avec la politique nazie. Les prisonniers d’Auschwitz devaient faire 14 kms pour arriver à Monowitz. Aussi, par souci d’efficacité, elle demandera la construction d’un camp sur place. Elle était chargée de la nourriture et des soins médicaux des prisonniers, qu’elle réduisait au minimum. Elle louait aux SS 4 marks par jour pour des ouvriers qualifiés et de 1,5 mark par jour pour les ouvriers non qualifiés en 1941. Ce prix augmentera à partir de mai 1943 : jusqu’à 6 marks par jour pour un ouvrier qualifié déporté et 4 marks par jour pour un ouvrier non qualifié, soit deux fois moins qu’un salaire d’ouvrier libre (1 mark valait alors environ 2 euros). Le temps de travail était de 10 à 11 heures l’été et de 9 heures l’hiver. Ces ouvriers, maltraités et dénutris, mouraient généralement d’épuisement en 6 mois environ.environ

Un atelier de travail forcé (Source : http://diberville.blogspot.com)

  • Le besoin en cobaye humain.

L’IG Farben avait également une filiale chimique, Bayer, pour laquelle des expérimentations sur du matériel humain était réalisées. Des lettres trouvées par l’armée rouge montrent que des lots de femmes sont achetés pour des expérimentations.

On peut légitimement se demander si d’autres recherches n’ont pas été menées sur des cobayes humains par ces entreprises.

A côté du mode de vie des déportés, comment vivaient les allemands : La vie des allemands d’Auschwitz

Construction de la zone industrielle

Construction des canalisations du complexe IG Farben (Bundesarchiv)

Construction du Complexe IG Farben (Bundesarchiv)

Construction des canalisations du complexe IG Farben (Bundesarchiv

Travail des déportés dans les filiales de l’IG Farben

Travail forcé dans l’entreprise Siemens (Auteur : Lipus Rodolf-Source : Buldarchiv)

Travail forcé dans l’entreprise Siemens (Source : Encyclopédie Multimédia de la Shoah).

Des soldats soviétiques inspectent une boîte contenant un poison utilisé lors d’expériences médicales. Auschwitz, Pologne, après le 27 janvier 1945 (Source : Encyclopédie Multimédia de la Shoah).