Du camp de concentration au camp d’extermination

Rappelons qu’ Auschwitz présente la double caractéristique d’être camp de concentration et d’extermination.

En effet, c’est un camp de concentration, dans la mesure où des individus, qualifiés par le pouvoir de potentiellement dangereux, y sont incarcérés, la plupart du temps en masse , dans le but de les extraire de la société,  voire de les éliminer.

C’est également un centre d’extermination, c’est à dire est un endroit où un peuple, dont on ne souhaite pas la présence physique, est assassiné de manière immédiate, délibérée et préméditée, dans une infrastructure spécialement prévue à cet effet.

 

 

La mise en place du plus grand camp d’extermination de juifs

Auschwitz, à ses débuts était un camp de concentration destiné à mâter la contestation polonaise et à extraire de la société ses éléments subversifs : résistants, intellectuels, militants politiques. Ceci explique que jusqu’au début de l’année 1942, Auschwitz était avant tout peuplé de polonais, auxquels s’ajoutèrent en 1941, les prisonniers de guerre soviétiques. C’est d’ailleurs sur eux que fut menée la première expérience d’extermination par le gaz Zyklon.Des juifs figurent dans les camps, mais leur présence s’inscrit dans le cadre de la répression anti-polonaise. Par contre un traitement particulier était réservé à ceux ne pouvant plus travailler, puisqu’ils étaient éliminés, par le passage à la chambre à gaz.

C’est à partir de 1942 et de la mise en place de la “Solution finale”, qu’Auschwitz devint le premier camp d’extermination de juifs. Il prit une échelle industrielle à Auschwitz-Birkenau.

Premières expérimentations de gazage sur les prisonniers soviétiques

 

Colonne de prisonniers soviétiques du front ukrainiens en 1942. (Source : Documentation française)

“Pendant un de mes voyages d’affaires, mon suppléant, le Schutzhaftlagerführer Fritzsh fit usage du gaz pour les (prisonniers soviétiques) tuer. Il employa à cette fin une préparation d’acide cyanhydrique, “Zyklon B”, dont il avait une provision suffisante, car on l’utilisait constamment au camp comme insecticide. Fritzsch m’en rendit compte après mon retour et pour le convoi suivant on utilisa de nouveau le même gaz. Le gazage fut opéré dans les cellules d’arrestation du bloc 11. Protégé par un masque à gaz, j’ai observé leur mise à mort. Dans les cellules entassées, la mort suivait immédiatement le jet de gaz. Un cri très bref, déjà presque étouffé et tout était fini.”

Rudolf Höss

(Source : Rudolf Höss, Le commandant d’Auschwitz parle,  éditions La Découverte.)

 

Bloc 11 d’Auschwitz 1 où eurent lieu les premiers essais du gazage sur les soldats soviétiques.(Source : Photo de Patrick Nguyen)

La sélection des juifs sur la rampe d’Auschwitz

Dans ses mémoires, Rudolf Höss indique qu’à l’origine Hitler avait ordonné d’exterminer tous les juifs, sans faire d’exception. Cependant, l’intensification de l’effort de guerre après l’échec des Allemands devant Moscou, fit qu’il préféra utiliser les plus vaillants dans l’industrie. C’est ainsi que fut mise en place “la sélection “sur le quai de la gare, appelée la rampe, lorsque les déportés descendaient du train. 

On leur intimait l’ordre d’abandonner sur le quai leurs biens. Un “kommando” avait alors pour mission de ramasser les biens et de les acheminer vers des lieux de stockage. Un deuxième récupérait  la nourriture que les déportés avaient apporté avec eux, pour la remettre aux cuisines du camp.

 C’est alors qu’intervenait la sélection à proprement parlé. On établissait deux files en moins de 10 minutes : l’une dans laquelle on ne conservait que les juifs en état de travailler, alors que tous les autres, considérés comme inutiles (personnes âgées, femmes avec enfants, enfants), étaient directement envoyés dans les chambres à gaz.

Le tri des objets sur la rampe. (Source : album d’Auschwitz)

La sélection

 

Sélection de juifs hongrois1942. (Source : Documentation française)

Dès la descente du train, les Allemands, avec leurs fouets et à force de coups, ont formé deux files, envoyant les femmes avec les enfants d’un côté, et tous les hommes sans distinction de l’autre. Avec un geste de la main, ils nous indiquaient : “Männer hier und Frauen hier !” “Les hommes par ici et les femmes par là-bas !” On avançait comme des automates, répondant aux cris et aux ordres. (…) 

« Tout s’est passé relativement vite. Comme je l’ai dit, on n’avait pas le temps de penser. Dans ces situations, on se sent déboussolé, hors du monde. Les Allemands nous encerclaient avec des mitraillettes et des chiens. Personne ne pouvait sortir du rang. (…) Ils nous ont mis tout de suite en file, devant un officier allemand. Un autre officier est arrivé peu après. Je ne sais pas s’il s’agissait du fameux Dr Mengele, c’est possible, mais je n’en suis pas sûr. L’officier nous regardait à peine et faisait un geste avec son pouce indiquant “Links, rechts !” “Gauche, droite !” et selon la direction qu’il nous indiquait, on devait aller d’un côté ou de l’autre. » En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu’il advint des autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit, purement et simplement.”

Shlomo Venezia, Sonderkommando. Dans l’enfer des chambres à gaz, Albin Michel.

 

L’entrée en camp de concentration

Après la « Sélection », les juifs utiles sont dirigés vers les bâtiments d’enregistrement répartis dans les différents camps. L’enregistrement comporte une dimension physique et administrative.

Les arrivants doivent se déshabiller, puis se ranger par ordre alphabétique. Un matricule leur est attribué. Ils sont enregistrés et une fiche est établie pour chacun. Les renseignements consignés concernent l’état civil, une description anthropomorphique, des enseignements sur le niveau d’études, langue, compétences ;…, les raisons de l’arrestation et les antécédents éventuels. Jusqu’en 1943, l’enregistrement s’accompagne de photographies face/profil/trois quart des détenus. Chacune des étapes de cet enregistrement est réalisée par les détenus membres de l’Aufnahmekommando, sous la surveillance de SS, dont les médecins, qui peuvent extraire des détenus dont l’état physique est jugé insuffisant et qui sont envoyés à la mort.

Le déporté reçoit alors un numéro d’immatriculation composé d’un numéro et d’un symbole indiquant le motif de présence dans le camp (juif-étoile de David, prisonnier politique -triangle rouge, prisonnier de droit commun- triangle vert, apatride : triangle bleu, tzigane- triangle marron, homosexuels-triangle rose, témoins de Jéhovah- triangle violet, asociaux -triangle noir, rond noir – compagnie disciplinaire).

Les femmes et hommes nus ont le corps rasé, la tête tondue, sont désinfectés, puis passent sous une douche glacée. Intervient ensuite le tatouage, sur l’avant-bras gauche, qui finalise l’enregistrement et l’entrée au camp. Il n’y a qu’à Auschwitz où un numéro est tatoué sur la peau.

A la fin de l’opération les déportés reçoivent la tenue rayée, leur « pyjama », le symbole qui devait y figurer , un calot et des sabots.

Les juifs inutiles (les personnes âgées, les femmes, les enfants, les malades) sont emmenés vers les chambres à gaz.

Symboles figurant sur les tenus (Source : Encyclopédie Multi média de la Shoa)

La sélection

 

Enregistrement du Père Kolbe exposée à Auschwitz (Photo de Patrick Nguyen)

Vêtement de détenu (Source : Encyclopédie Multi média de la Shoah)

Calot de détenu (Source : Encyclopédie Multi média de la Shoah)

L’extermination des juifs

Afin que l’extermination se déroule bien, il était important de s’assurer de la docilité des victimes. On annonçait donc aux juifs sélectionnés pour la mort immédiate, qu’avant d’être conduits dans un camp de repos, ils devraient passer par un   “établissement de bains et de désinfection ».

Ces “bains”, qui étaient situées au sous-sol des fours crématoires, avaient l’aspect de douches. Les victimes étaient conduites dans une espèce d’antichambre, où elles apercevaient des bancs et porte-manteaux numérotés. Les SS leurs remettaient un savon sur lequel était écrit « savon pour juif ». Ils invitaient les juifs à se déshabiller, à déposer leurs vêtements et chaussures ensemble, tout en leur signifiant de bien retenir leur numéro, pour les récupérer après la « douche ». L’objectif de ce discours était de rassurer les victimes.

Lorsque tout le monde était rentré dans la chambre à gaz, un ordre rauque ordonnait au SS et commando de quitter la salle. Les portes se refermaient et les lumières s’éteignaient. Un sous-officier arrivait avec des boites de Zyklon ; Par des courtes cheminées de béton, après s’être muni d’un masque à gaz, il ouvrait une boite et déversait son contenu dans l’ouverture de la cheminée. Au contact de l’air, ces granulés se transformaient en gaz. En 5 minutes,  tout le monde était tué. 20 minutes après, on mettait en marche les appareils d’aération électrique, pour évacuer le gaz. Les portes s’ouvraient. Les cadavres étaient retrouvés entassés sous toute la hauteur de la pièce, les malheureux s’étant piétinés pour trouver de l’air dans la partie haute de la pièce. A la base de cette pile humaine on trouvait les cadavres des bébés, enfants et femmes, au sommet ceux des plus forts. 

Four crématoire d’Auschwitz 1 (Source : Photo de Patrick Nguyen)

Maquette montrant le fonctionnement d’une chambre crématoire- Auschwitz 1 (Source http://www.encyclopedie.bseditions.fr)

Chambre à gaz d’Auschwitz 1 (Source : Photo de Patrick Nguyen)

Gaz Zyklon d’Auschwitz 1 (Source : Photo de Patrick Nguyen)

L’extermination des juifs : témoignages de “sonderkommando”

Des détenus étaient affectés spécialement à cette tâche. Ils étaient isolés des autres détenus et avaient de meilleures conditions de vie : ils souffraient moins de la faim. Ils vivaient dans les bâtiments affectés à l’incinération des cadavres. Par contre, ils étaient éliminés au bout de 3 mois, pour qu’il ne subsistât aucun témoin.

Les témoignages de Slomo Venezia et de David Olère montrent combien s’était rationalisée cette entreprise de mort dans le camp d’Auschwitz -Birkenau

Plan d’une chambre à gaz d’Auschwitz-Birkenau – David Olère

Les personnes sont conduites à la désinfection et sont gazées dans les sous-sols. Les corps sont ensuite dépouillés de leurs cheveux et dents en or, puis montés par un monte-charge vers les fours qui se trouvent au rez-de-chaussée. Au premier étage se trouve les dortoirs , ainsi que la zone où sont peignés les cheveux et fondues les dents en or. Des camions arrivent pour être chargés des chaussures et des vêtements, qui vont être désinfectés puis transportés par train vers différents points du pays.

Les coiffeurs de Birkenau dans le crématoire au grenier- David Olère- 1945

A l’étage les coiffeurs démêlaient les cheveux prélevés sur les femmes et les dentistes fondaient les dents en or récupérées sur les cadavres.

Pour les déportés sélectionnés, comment se déroulait la vie dans le camp ? Lien vers la vie dans le camp.

Après le gazage- David Olère – 1946
Témoignage de Shlomo Venezia

(L’ouverture d’une chambre à gaz) c’était une vision d’horreur. (…) Quand le Zyklon B était déversé, les gens mettaient cinq, dix, douze minutes à mourir. Comme les cristaux jetés au sol dégageaient de l’acide par le bas, les plus forts grimpaient sur les autres pour tenter d’avoir un peu d’air. Quand on ouvrait la porte et que l’on enclenchait la ventilation, c’était un spectacle de corps agrippés, entrelacés, enchevêtrés.  (…)Sang, excréments, urine, vomi… (…)` Pour dégager les corps, on utilisait des cannes, (…) Parfois, on utilisait des ceintures, comme on le voit dans les dessins du peintre David Olère, l’un de mes compagnons là-bas.

Source : Migros Magazine 36, 3 septembre 2007

Sous-Commando des écraseurs d’os- David Olère

Dans la salle des fours – David Olère – 1945 Témoignage de Shlomo Venezia

Les cadavres étaient montés au rez – de-chaussée à l’aide d’un monte-charge qui pouvait en contenir sept à dix. Au rez-de-chaussée, une rigole d’eau permettait
de faire glisser plus facilement les corps vers l’un des cinq fours, équipés chacun de trois moufles. On y déversait les corps deux par deux, tête-bêche sur un brancard métallique. Il y avait trois hommes devant chaque moufle.
Un de chaque côté du brancard. Le troisième tenait les manches, avançait rapidement le brancard en le soulevant pour faire glisser les corps. 

Source : Migros Magazine 36, 3 septembre 2007

La flamme éternelle- David Olère
Témoignage de Shlomo Venezia

Ce «travail» ne s’arrêtait jamais. Les équipes se relayaient toutes les douze heures. Les convois de 1700, 1800 personnes arrivaient tous les trois jours. Il fallait 72 heures, soit trois jours, pour gazer puis brûler tous ces corps. Avant même que tous aient été brûlés, on nettoyait et repeignait à la chaux
le sol et les murs de la chambre à gaz, pour le convoi qui arrivait.

Source : Migros Magazine 36, 3 septembre 2007

Sources